Discours prononcé le 15 décembre 2008 par le Chef du Centre de Déminage de Nantes,

à l’occasion de la pose d’une borne du souvenir, commémorant l’accident de déminage de René Ruelle et d’Henri Bonnet, le 20 janvier 1958 sur le site de La Gicquelais (44).

 

 

Bonjour à tous,

C'est avec beaucoup d’émotion que nous vous accueillons aujourd'hui sur le site de destruction de la Gicquelais, site qui appartient à la Direction de la Sécurité Civile et qui est utilisé depuis 1945 pour assurer l'élimination des engins de guerre récupérés dans la région.

Nous sommes particulièrement heureux d'avoir réussi à reprendre contact avec vous et surtout très honorés de vous voir aussi nombreux à nos côtés.

Il y a quelques mois, lors d'une recherche historique pour l'étude d'un chantier, nous avons ressorti d'un carton d'archives, qui n'avait pas été ouvert depuis bien longtemps, le dossier d'accident de René Ruelle et d’Henri Bonnet.

Lorsque nous avons commencé à lire ce dossier, terrible dans sa description comme peuvent l'être tous les rapports de gendarmerie évidemment très factuels et technique en pareilles circonstances, nous avons vu défiler au fil des pages, l'histoire bouleversante de ce drame qui s'est joué ici, à cet endroit même, il y a un peu plus de cinquante ans.

Le 20 janvier 1958, par un après-midi froid (un peu comme aujourd'hui), deux hommes, deux démineurs, René Ruelle, 55 ans, marié et père de 8 enfants et Henri Bonnet, 42 ans, marié et père d’un enfant, faisaient leur métier. Le sens de leur travail était à la fois simple et particulièrement noble : ils éliminaient des engins de guerres non explosés afin de protéger du mieux possible les populations de la région.

A la fin des années cinquante, les découvertes étaient encore très nombreuses. Les derniers canons de la poche de Saint Nazaire, s'étaient tus une douzaine d'années plus tôt et les stigmates de la seconde guerre mondiale étaient encore bien visibles dans la plupart des communes françaises. Dans la région, leur camionnette sillonnait quotidiennement des rues de villes fraîchement reconstruites, et des campagnes où la vie avait repris son cours normal depuis peu.

Et ce métier, ils le connaissaient bien. Au fil des mois, par milliers, des engins de toutes sortes et de toutes tailles passaient entre leurs mains expertes pour finir dans le fracas d'une explosion finale au fond d'un trou... ces trous que nous appelons des fourneaux.

Il est important de rappeler que pour chaque munition détruite, c'est en fait une histoire triste qui n'aura pas lieu. En effet, chaque grenade, chaque obus, chaque bombe, éliminé, c'est plus de sécurité et plus de tranquillité pour les autres... Un agriculteur peut-être sauvé, un enfant sans doute épargné... Une longue comptabilité d'hypothèses, certes, mais qui ne se concrétiseront finalement jamais grâce au travail constant et discret des démineurs.

Le 20 janvier 1958, le travail était de détruire une bombe anglaise de 250 kg qui avait été neutralisée quelques jours plus tôt. Il fallait pour cela ouvrir l'arrière de la bombe (c'était une procédure courante à l'époque). René et Henri, en brûlerait ensuite le contenu. Malheureusement, lors du dévissage ce fut l'explosion... et les conséquences terribles que nous savons...

Pour vous qui étiez proches d'eux, ce drame a bouleversé vos vies et nous ne voudrions pas raviver inutilement ces souvenirs intimes et douloureux. Sachez simplement que nous avons beaucoup de respect pour l'émotion qui est la vôtre aujourd'hui et que nous la partageons.

1958... 2008... Cinquante années nous séparent aujourd'hui de l'accident, mais lorsque nous avons refermé le dossier et rangé la boîte d'archives, nous nous sommes dit qu'il nous manquait quelque chose... Que nous devions quelque chose de plus à la mémoire de René et d'Henri... Quelque chose d'autre qu'un vieux dossier de feuilles jaunies par le temps...

C'est ainsi qu'a germé l'idée de cette borne du souvenir.

Comme vous le voyez il ne s'agit que d'une humble pierre mais qui a été taillée dans un solide granit de la région. Humble et solide, deux mots que nous associons volontiers aujourd'hui à la mémoire de René et d’Henri.

Une borne c'est avant tout un repère.

Pour nous, ce repère symbolise aujourd’hui, l'engagement, le courage, le dévouement et l'abnégation.

En souvenir du sacrifice de René Ruelle et d'Henri Bonnet et de l’exemple qu’ils nous ont donné, cette pierre est un rappel au sens profond de ce qu'est le métier de démineur.

C'est aussi un repère d'humilité et de prudence, car comme nous le savons tous, et malgré toutes les mesures de précautions prises... en opération de déminage, un accident peut toujours arriver, même aux plus aguerris.

Cette borne, nous veillerons à ce qu'elle porte son message au fil du temps :

Un message de mémoire…

Un message de respect…

Un message d’amour et de paix… évidemment aussi…

Les générations de démineurs qui travailleront désormais sur le site se souviendront du 20 janvier 1958.

Ils préserveront ainsi et pour longtemps la mémoire de René Ruelle et d'Henri Bonnet.

 

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Je vous invite maintenant à observer une minute de silence.